Chapitre 2 : Avancées et reculs de la démocratie
3. Les avancées démocratiques de l'Europe méditerranéenne entre 1970 et 1980 : l'exemple du Portugal
En 1945, si la fin de la Seconde guerre mondiale signe la fin du fascisme et du nazisme en Europe, elle ne signifie pas pour autant que les dictatures disparaissent. En Espagne et au Portugal, le général Franco et Antonio de Oliveira Salazar tiennent leur pays d’une main de fer alors que les valeurs de la démocratie sont consolidées dans toute l’Europe occidentale et à travers le projet de la Communauté européenne. Cette situation anachronique va pourtant prendre fin dans les années 1970. Tant au Portugal qu’en Espagne, on assiste alors à la transition de la dictature à la démocratie, transition pacifique. Ces deux pays vont instaurer des régimes démocratiques à l’instar de leurs voisins.
a. La Révolution des oeillets, 24 avril 1974
Le Portugal devient une République en 1910 reposant sur une constitution démocratique. Mais le 28 mai 1926, elle est renversée par un coup d’état organisé par Gomes de Costa. Une junte militaire dirige alors le pays. Militaire. Le 28 avril 1928, Antonio de Oliveira Salazar est nommé ministre des finances. C’est le début de sa carrière politique et ce poste le propulse au sommet de l’état. En 1932, Salazar devient Président du Conseil des ministres, soit chef du gouvernement. Le 19 mars 1933, il propose un référendum pour une nouvelle constitution. Adoptée, elle établit « l’Estado novo », soit l’Etat nouveau. Ce régime conserve les attributs d’une démocratie. Le pluralisme est autorisé mais contrôle. Des élections sont organisées. Mais derrière cette façade démocratique, le régime est autoritaire. La police politique, la PIDE, fait régner la terreur parmi les opposants politiques, notamment communistes, qui peuvent être emprisonnées et torturés, voire assassinés. Les syndicats sont interdits ainsi que la moindre contestation sociale. La liberté de la presse n’existe pas. « L’Estado novo » est en fait une synthèse de nationalisme, d’ultra-catholicisme et d’autorité. Elle valorise le travail et la famille.
Le régime de Salazar va être confronté à plusieurs difficultés. Le développement économique est le plus faible de toute l’Europe. En 1973, le Portugal est le pays le plus pauvre de l’Europe occidental. Près d’un million de Portugais choisissent de quitte le pays pour la France et le Brésil. Une partie de cette émigration, clandestine, fuit la dictature ou le service militaire obligatoire pour éviter d’être mobilisé dans les guerres coloniales qui commencent.
Le Portugal doit faire face à des mouvements indépendantistes dans ses deux colonies africaines. A partir de 1961, le Portugal est engagé dans une guerre en Angola, au Mozambique et en Guinée Bissau, les provinces africaines. Ces conflits ont un coût humain et matériel important. En Angola, 3000 soldats portugais meurent. Au Mozambique et en Guinée, la violence des conflits engendre 15 000 morts civils et militaires confondus. Ces guerres sont très impopulaires tant dans la société civile que dans l’armée.
Salazar quitte le pouvoir en 1968 suite à un accident cardio-vasculaire. Il nomme un proche, Marcelo Caetano, Président du Conseil des ministres. Caetano tente de libéraliser le pays : octroi du droit de vote aux femmes, rénovation des cadres économiques du gouvernement, allégement de la censure sur la presse. Mais lorsqu'il essaie, avec la plus grande timidité, sous la pression internationale, de réduire le champ d'action de la police politique, celle-ci provoque la mort d'un jeune étudiant alors détenu à Caxias ; le Premier ministre est alors forcé de se solidariser avec la direction de la police. Mais il est surtout sans solution face aux guerres coloniales. Cette situation va provoquer la formation du « Mouvement des capitaines » qui décide d’arrêter les guerres coloniales et d’instaurer la démocratie. Ce mouvement est fondé par le général Antonio de Spinola, rendu célèbre dans le pays par la publication d’un livre, Le Portugal et son avenir, dont le contenu est dévastateur pour le régime. Cet ouvrage rend son auteur immédiatement populaire. Spínola y propose une sortie pacifique et négociée de l'impasse coloniale et une « détente » en politique intérieure. Spinola prend alors la tête de la révolution portugaise.
Le 25 avril 1974, un groupe de jeunes officiers de gauche, le MFA « Mouvement des forces armées », renverse le gouvernement de Caetano. La « révolution des œillets » vient de commencer sur l’air de « Grandola, vila morena ».
Le MFA est acclamé par les foules et la collusion entre l’armée et la population est totale. Le 26 avril, les militaires insurgés placent António de Spínola à la tête d'une Junte militaire de salut national. Spinola est nommé, le 15 mai 1974, président de la République portugaise. Son prestige, son aura d'opposant et son charisme l'imposent.
Le général Spinola organise des élections libres, réunit une assemblée constituante, abolit la censure. Il dissout la police politique et ordonne la libération des prisonniers politiques. Mais, il est critiqué parce que trop conservateur aux yeux du MFA et aux partis de gauche qui sortent de la clandestinité (Parti socialiste de Mario Soares, le PC d’Alvaro Cunhal). Spinola démissionne en sept. 1974.
Le pouvoir est alors exercé par des officiers progressistes, soutenus par la Parti communiste dont l’influence va diminuer au profit des socialistes et des modérés. En avril 1976, la nouvelle constitution renforce les droits sociaux et établit le suffrage universel donnant ainsi aux femmes le droit de vote. Le Portugal demande aussi à rejoindre la CEE. Mario Suarez, du parti socialiste, devient premier ministre de la République portugaise.
En 1979, la victoire de la droite marque l’arrêt des réformes agraires puis la suppression, en 1982, du Conseil de la révolution, dernier organisme militaire chargé de faire vivre les idéaux
Analyse de texte
« La crise atteint son paroxysme au cours de l’été 1975, “l’été chaud”, où éclatent au grand jour les contradictions internes au sein du Mouvement des forces armées (MFA) entre communistes, tiers-mondistes, gauchistes et socialistes. Les communistes vont-ils tenter un coup de force? Fin juillet, Otelo de Carvalho, commandant du Copcon (structure militaire) est accueilli dans la liesse au retour d’un voyage à Cuba où il a été reçu par Fidel Castro. Cette crainte s’estompe toutefois début août avec la signature des accords d’Helsinki, consacrant la détente entre l’Est et l’Ouest, sous l’égide du CSCE (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe). Dans le nord du pays, en revanche, une réaction contre-révolutionnaire est alimentée par l’Église catholique et des notables, amplifiée par une offensive anti-gauchiste d’éléments de la droite et de l’extrême droite. Alors que les occupations d’usine […] et la mise en route de la réforme agraire suscitent des réactions de peur, le gouvernement de Vasco Gonçalves perd le contrôle de la situation. Lâché par le Parti communiste, de plus en plus isolé, il est contraint de démissionner début septembre. […] La confusion est à son comble.»
Yves Léonard, «25 avril 1974 : les œillets font la démocratie», Les Collections de L’Histoire, no 63, «Portugal. L’empire oublié», avril-juin 2014.
Questions :
1) Montrez que la période révolutionnaire, au Portugal, oppose des intérêts divergents.
2) Expliquez la phrase "(...) la situation est à son comble."


