top of page
  • Facebook
  • Twitter
  • Instagram

Chapitre 2 : Avancées et reculs de la démocratie

​

4. Les avancées démocratiques de l'Europe méditerranéenne entre 1970 et 1980 : la transition démocratique espagnole

 

La Révolution de 1868, en Espagne, ouvre une période troublée durant laquelle les aspirations à la Restauration monarchique se disputent aux volontés républicaines. Entre 1873 et 1874, l’éphémère Première république espagnole est instaurée mais elle est engluée dans les conflits sociaux. Peu ancrée et populaire, elle s’efface en faveur d’une restauration monarchique. Entre 1874 et 1923, l’Espagne est une monarchie constitutionnelle plutôt libérale. Mais en 1923, un coup d’état perpétré par Primo de Rivera met fin à ce régime. Il instaure une dictature militaire qui se donne pour mission de guérir les « maux » qui affligent le pays : « le terrorisme, la propagande communiste, l’impiété, l’agitation séparatiste, le désordre financier, la corruption politique, la question marocaine… ». Primo de Rivera suspend les actes constitutionnels de la monarchie mais le roi Alphonse XIII reste sur le trône. Censée durer 3 mois, cette dictature s’éternise jusqu’en 1930, date à laquelle Rivera est remplacé par le général Berenger. En 1931, la Seconde république est proclamée entrainant l’exil d’Alphonse XIII

De 1931 à 1936, le champ politique de la République est un champ de bataille où s’affrontent socialistes, communistes, anarchistes, milieux conservateurs et extrême-droites. L’unité nationale est menacée par les velléités autonomistes des régions espagnoles et par un antirépublicanisme de plus en plus virulent.

Les élections de 1936 offrent la victoire eu Front populaire qui regroupe les socialistes et les communistes, les groupes républicains de gauche (Gauche républicaine et Union républicaine), l’Esquerra catalane, et l'ORGA, parti autonomiste galicien. Mais la légitimité du scrutin est fortement remise en question. Des fraudes massives sont dénoncées. Dès lors, l'État républicain est rejeté à la fois par les forces conservatrices, l'Église, l'armée et l'oligarchie, qui la jugent impuissant à maintenir l'unité de la Nation, et par, les forces populaires, qui ne voient en lui que le dernier avatar d'un État oppressif. Cet Etat doit faire face au terrorisme, aux affrontements armés, aux émeutes révolutionnaires. Ces tensions vont provoquer l’éclatement de la guerre civile espagnole

Elle commence les 17 et 18 juillet 1936 par un coup d'État militaire organisé par le général Mola avec pour chef désigné le général Sanjurjo. Franco n'a pas participé à sa préparation et ne s'y rallie qu'au dernier moment. Les putschistes ne veulent pas renverser la République, mais le gouvernement du Front populaire élu en février 1936. Le coup d'État échoue : les insurgés n'arrivent pas à dominer l'ensemble du territoire. Il provoque cependant l'effondrement du gouvernement de Madrid. 

Dès lors, les forces nationalistes vont s’opposer aux troupes républicaines, elles-mêmes divisées entre communistes, socialistes et anarchistes. Franco s’impose à la tête des forces nationalistes grâce à une série de morts providentielles : celle de Mola, le véritable organisateur du complot, et celle de Sanjurjo notamment, dans les deux cas à la suite d'accidents d'avion. Fin septembre 1936, il est élu par la junte de Salamanque à la fois généralissime et chef de l'État.

La guerre d’Espagne s’internationalise et dure jusqu’en 1938. Franco s’impose grâce au soutien actif de l’Italie de Mussolini et de l’Allemagne hitlérienne. Commence alors une longue dictature de 39 ans : celle du franquisme.

Le fondement idéologique du franquisme est son anti communisme, le centralisme politique autour du Caudillo, (chef de guerre) incarné par Franco et son attachement aux valeurs ultra conservatrices. Ce régime s’appuie sur trois piliers : l’armée, la phalange et l’Église. La phalange regroupe les membres du parti unique de l’Espagne franquiste. Cette organisation permet le contrôle des territoires et elle est l’instrument de la répression politique contre les opposants et les vaincus de la Guerre d’Espagne. Cette dictature est l’une des plus meurtrière de l’Europe d’après-guerre. Arrestations, internements, exécutions, assassinats marquent la violence de ce régime. 

En 1969, malade, Franco désigne Juan-Carlos, comme devant lui succéder après sa mort, en tant que roi d'Espagne. Il se résout en 1970 à désigner un premier ministre pour l'aider à gouverner. Franco meurt le 20 novembre 1975. Juan-Carlos est devient roi d'Espagne le 22 novembre. Il nomme alors le 3 juillet 1976 Adolfo Suarez comme chef de gouvernement bien qu’il fût un ancien cadre du franquisme. Il entreprend une réforme constitutionnelle. La Loi pour la Réforme Politique, adoptée par le peuple espagnol le 15 décembre 1976 permet d’établir les bases de la démocratie espagnole post franquiste. Le 15 juin 1977 se tiennent les premières élections démocratiques depuis 1938. Le Congrès des députés et le Sénat issus de ces élections sont chargés d'élaborer, notamment, la nouvelle constitution démocratique que le roi approuve le 27 décembre 1978 ainsi que 88% de la population consultée par référendum.

Cette constitution pose les bases d’une démocratie moderne qui repose sur l’Etat de droit qui garantit une démocratie libérale et parlementaire. Elle garantit aussi le pluralisme politique après l’auto dissolution du parti unique sous Franco, le Movimiento Nacional, le 1er avril 1977.  Elle engage la décentralisation en accordant une large autonomie aux régions. Les valeurs de cette monarchie parlementaire sont l’égalité et la tolérance. 

La loi d’amnistie de 1977, adoptée par le Parlement espagnol, permet à un pays fracturé et traumatisé de se réconcilier. Elle permet la libération de tous les prisonniers politiques et le retour des exilés. Mais elle a également garanti l'impunité à ceux qui ont participé à des crimes, pendant la guerre civile et durant le régime franquiste. La loi est toujours en vigueur et a été utilisée comme prétexte pour ne pas enquêter et poursuivre les violations des droits humains franquistes.

 

Cependant, elle ne suffit pas à réconcilier les franges les plus extrêmes de la société espagnole avec la démocratie. Le 23 février 1981 éclate un coup d’état, en direct à la télévision, perpétré par des officiers de l'armée et de la gendarmerie. Menés le lieutenant-colonel Antonio Tejero, ils pénètrent dans le Congrès des députés et veulent prendre l’hémicycle en otage. Rapidement désarmés, ils ratent leur tentative de restauration autoritaire. Cet évènement relativise le processus de démocratisation mais ne l’entrave pas. L’Espagne fait aujourd’hui partie intégrante des démocraties européennes et, à ce titre, a pu intégrer la CEE en 1986 et devenir un membre de l’UE. Cependant, l’héritage du franquisme fait encore largement débat en Espagne.

Analyse de texte : 

​

 "(…) Les critiques mettant en avant le « continuisme » de la dictature espagnole avec la démocratie actuelle pour expliquer son déficit, s’appuient sur l’absence de justice transitionnelle menant à l’impunité des responsables de la dictature et de la répression, et sur l’absence d’épuration de la police, de l’armée et de la justice, c’est-à-dire l’absence de révision en profondeur des structures politiques, sociales et économiques, comme de leur personnel. La trajectoire d’Antonio González Pacheco, « Billy el niño », tortionnaire de la Direction générale de la sécurité madrilène, devenu membre de la Brigade centrale d’information (agissant contre les GRAPO) puis de la brigade antiterroriste jusqu’en 1982, décoré par la médaille du mérite en 1977, en témoigne. Malgré les tentatives de la juge María Servini de le juger pour des faits de tortures commis entre 1971 et 1977, l’Espagne s’est jusqu’à aujourd’hui opposée à son extradition en invoquant la loi d’amnistie votée le 15 octobre 1977. Toute la nébuleuse associative et citoyenne des « mouvements de récupération de la mémoire historique » achoppe sur cette loi. Selon Santos Julia, cette loi permettait d’éviter que le passé de la guerre et de la dictature soit instrumentalisé dans les débats politiques. Si elle a permis la libération – parfois sous contrainte du bannissement – des prisonnier.es politiques, elle bloque également tout dépôt de plainte contre les responsables et tortionnaires de la dictature et impose le silence sur le maintien de certaines pratiques, aujourd’hui documentées, comme la torture ou encore le vol de bébés. Considérée par certains comme un « pacte d’oubli » (selon le terme de S. Julia), elle est aujourd’hui dénoncée par de nombreux acteurs et actrices du champ politique et judiciaire, notamment celles et ceux impliquées dans la « querella argentina contra los crímenes del franquismo ». Au Portugal, si réparations matérielles et symboliques ont été mises en place pour les victimes de la dictature dès la période de la transition, il est maintenant question de renégocier une mémoire historique considérée comme héritière de l’imaginaire national impérialiste construit par l’Estado Novo. Victimes de la guerre et de la transition exigent, devant la justice, indemnités, exhumation des fosses communes et réparation, contre le récit historique qui a prévalu pendant la transition, celui de la guerre comme un conflit fratricide dont les responsabilités sont partagées et contre l’invisibilité dans laquelle les cantonne le « mythe de la transition pacifique », selon le titre de l’ouvrage de Sophie Baby."

​

Irène Gimenez , « D'un régime autoritaire à la démocratie : le Portugal et l'Espagne de 1974 à 1982 », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 23/06/20 , consulté le 17/07/2025. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/14356

​

Questions :

1)  Montrez, à partir de ce texte, le difficile travail de mémoire et de réconciliation en Espagne depuis 1977.

2) Expliquez le titre de Sophie Baby (avant dernière ligne) : "Le Mythe de la transition pacifique".

​

​

​

​

​

bottom of page